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Rêvé le 6 décembre 2014 - Bourrasque avait 22 ans Ajouter ce rêve à vos favoris

 

Contexte : une grande maison. Du parquet, des pièces partiellement vitrées. Ambiance hotel de bord de mer, mélangée à la Villa (grande coloc dans laquelle je vis), avec des parois vitrée entre les pièces, en jeux de miroirs...

Ma chambre est mon bureau. C’est vieillot, avec un papier peint de feuilles bleues – un mélange de la chambre bleue de la maison de vacances de mon enfance, et de la chambre que j’occupais parfois chez mes grand-parents, avant qu’ils ne déménagent. Contigu se trouve le grand bureau de mon patron.(F.). Je travaille.

Je sais qu’au fond du couloir, mon frère travaille aussi, ésotérique, sur ses compositions mathématiques, avec ses alambics et son hautbois bardé d’instruments de mesures et de générateurs de suites mathématiques.

Je m’emmerde cordialement, misérable et coupable dans mon bureau trop vaste et néanmoins etouffant, et pourtant en même temps je n’arrive pas à remplir tous les objectifs qui me sont assignés. Je sais que je fais de mon mieux, et en même temps je me sens coupable car je sais que Frédéric me soupçonne dans sa paranoïa de tout un tas de choses fantaisistes et étranges.

A un moment donné, je dois de toute urgence aller chez un client (pour y porter des échantillons ? en ramener ? rdv pro ?) F. , à l’accoutumée, est en réunion avec mes collègues. Je pars en trombe, notifiant le perroquet d’accueil pour si jamais on me cherche, oubliant mon sac avec mes projets persos dans un coin de ma chambre.

Je conduis précautionneusement entre des champs labyrinthiques et des patés d’usines grillagées. Cela prend du temps, mais j’ai peur d’aller trop vite – les chemins sont piégeux et les carrefours légions.

Aucun souvenir de l’entrevue avec le client . Je sais seulement qu’il est satisfait. Soulagée, je fais un détour par le port : dix minutes dans ma longue journée morne, qu’est ce que ça change ? et puis ça m’évitera les embouteillages.

La mer est d’un bleu extraordinaire. Elle brille et lance des viscosités épaisses et chatoyantes, de bleus électriques, turquoises, transparents et pourpres. Des marins de la guilde des aventuriers font la queue, patibulaires, pour s’embarquer vers les étoiles. Leurs baluchons de grosse toile sont constellés de visas des douze coins de l’univers, leurs fronts sont assombris, préoccupés. Comment ces gens, voués à vivre si libres, supportent-ils les carcans administratifs et les contrats abusifs qui régissent leur droit à la libre circulation ?

Les tests des grands yachts de régate sont en cours pour les prochaines courses. Des batiments invraisemblables, bigarrés de larges bandes colorées, roulant et donnant de la bande sur les flots, s’échauffent avant le grand départ. Ils étirent leurs mats, gonflent leurs flancs ronds, font vibrer leurs membrures. Certains, par jeu, se poursuivent déjà et s’éclaboussent, faisant fort peu attention à leurs équipages qui, résignés, s’accrochent comme ils peuvent aux haubans ou tentent de les calmer sans grande conviction par de faibles « ho ! holà ! »

Les Optimist sont de sortie. Je sais que ce sont des Optimist car ils sont bien rangés en ligne derrière leur mère Pessimist, dirigiste et over-attentionnée, qui veille tyrannique à ce qu’ils réussisent avec brio leurs test de stabilité. Les petits bateaux ventrus, élèves modèles, suivent dans un bel ensemble les injonctions de la Mère :

« un, deux, trois, hop ! on se retourne ! »

(tous les Optimists prennent une grande inspiration, et roulent sur leur flanc droit jusqu’à se retrouver la tête en bas, voiles flottant entre deux eaux, la carène à l’air.)

« avez-vous tous bien calculé votre rayon métacentrique ? vérifiez votre cas de chargement ! ajustez vos profils dynamiques, profitez en pour comparer la pénétration à l’air avec la pénétration à l’eau… pensez-bien aussi aux indices de réfraction, n’oubliez pas que vous avez changé de milieu !»

(les optimists, mignons et vaguement grotesques, agitent leurs nageoires/safrans et leurs quilles en l’air, créant des tourbillons pailletés dans le vent – je sais que la perturbation des flux d’air fait condenser l’iode autour de leurs sillages, créant ces queues de comètes, paillettes de sel qui brillent dans la réverbération de la mer)

« Et  maintenant, allez, rétablissez l’équilibre ! »

(les optimist se remettent droit, un peu cahotants, s’ébrouent un coup et reforment les rangs. L’un d’entre eux voudrait poser une question, hésite puis se lance :  )

-et si on se met en travers fil, qu’est-ce qu’il se passe ?

« personne ne fait ça ! fais ce que je te dis ! et n’oublie pas tes exercices – trois fois par jour, tous les jours ! un jour vous me remercierez pour ça, petits ingrats ! vous verrez, vous serez tous heureux grâce à moi ! c’est grâce à moi que vous serez heureux !»

Il est temps que je rentre. Je me suis vue parmi les marins, mon moi masculin, enchaîné dans la file interminable, qui me lance un regard buté : « qu’as-tu fait ? vois-tu où je pars, à présent ? c’est malin !»

Je reprends la voiture- une coccinnelle mafflue, du toc, plastique et couleur lénifiante. De retour au bureau je grimpe les escaliers et me glisse subrepticement dans mon bureau – aucune envie de croiser Frédéric. Avec un peu de chance personne n’aura remarqué mon absence.

La chambre semble vide. Puis je comprends que tous mes dossiers ont été entassés, pêle-mêle, sur mon lit, ils coulent doucement dans les plis de la couette. L’écran de l’ordinateur a presque sombré déjà, quand au clavier, les touches affolées surnagent en désordre entre les draps.

Soupirant, je sauve ce qui peut l’être, recollant les morceaux, accrochant les plans à sécher devant la fenêtre. Ce n’est pas la première fois que cela arrive, mais ça faisait longtemps… ma ritournelle peu convaincue se met en route, en essayant de juguler la panique : « ils ont du avoir besoin du bureau.. ils cherchaient un dossier urgent… tout va bien se passer…. »

« BOURRASQUE !!! »

« ouvre la porte, que je sache ce que tu fais ! je t’ai déjà dit de ne pas t’enfermer – tu me caches des choses, c’est ça ? »

Déjà en train de m’excuser de je ne sais quoi, je balbutie le compte-rendu de mon après-midi – l’appel urgent du client, les échantillons, le déroulement de l’entrevue, les embouteillages – amère je m’aperçois que je suis déjà en train de m’accuser, de tenter de justifier quelque chose dont je ne suis pas coupable.

La scène est transposée dans le bureau de F. Piégée, je suis écrasée par la présence du lourd bureau en acajou – un machin ostentatoire et sans grâce, avec des pattes de lion dorées.

« je me demande à quoi tu sers ici. En fait tu es une espionne. Une dépravée. Une délinquante. Tu ne fais même pas du 95C et tu ne sais pas te mettre en valeur – même ça je l’aurais perdu, aucun retour sur investissement ! tu te rends compte de la perte que tu représentes pour l’entreprise ? Pour qui est-ce que tu travailles ? à qui dois-tu ton toit, ton cerveau, tes faits- et gestes ? de quel droit te prétends tu légitime, tu crois peut être que tu as le droit d’exister pour toi-même ? mais ce n’est pas une gamine de 25 ans qui va m’apprendre à refaire le monde ! j’ai toujours bien fonctionné comme ça – tu ne vas pas refaire le monde ! (d’ailleurs je te l’interdis ! je t’en empêcherai ! la voix divine te l’ordonne à travers moi et à travers la société toute entière !) »

Il sort de son tiroir mon Furoshiki bigarré (un baluchon de tissu qui me sert de sac à main) – mon portefeuille, mon carnet de poèmes. Mon intimité. Il n’a pas le droit ! il n’avait pas à fouiller ainsi dans mes affaires – ça ne le regarde pas !

« je savais que tu étais une traîtresse. Regarde – il sort une liasse de billets de monopoly du portefeuille – tu as triché, tu les avais cachés sous le plateau. Je ne supporte pas le mensonge ! combien de fois as-tu volé mon bénéfice ? »

J’essaye de lui expliquer calmement. Nous avons déjà eu cette discussion la semaine dernière – je n’ai rien volé. Ce sont mes congés payés que je n’ai pas pris, qui sont donc ajoutés sur mon dernier salaire.

« ah je vois, tu te prends pour une fonctionnaire – ces paresseux qui ne savent pas s’investir dans leur travail. Ces parasites ! Tu le mérites peut-être, cet argent ? c’est le mien ! je le garde car tu fais mal ton travail. D’ailleurs, je ne sais même pas pourquoi je t’ai embauchée, au juste. »

Il sort du sac la brochure du jardin partagé auquel je participe. Triomphant, il s’exclame :

« la voila, la preuve ! tu es bénévole. En réalité tu espionnes pour le compte de ces associations anticapitalistes – tu fais partie des Changeurs ! »

« Je ne veux plus de toi ici. Je t’interdis de partir ! je te renie et tu m’appartiens. Va dans le salon, et n’oublie pas de faire le ménage. Ah, tu me fais perdre de l’argent ! »

Le salon est en L – il y a dans le petit recoin une plante verte, du genre les plantes de salle d’attente de docteur. Je m’assois dans un coin, derrière la table basse oblongue recouverte de vinyle bleu. Mon frère, sur le canapé, me considère d’un air pensif.

« j’ai regardé faire – après tout, tu n’étais pas là. Et puis je me doutais que ça allait arriver. Même quand tu essayes de la cacher, ta colère continue de faire des grimaces insolentes derrière ton dos.

Je pourrais dire que tu le cherches, mais en fait, c’est juste que tu portes mal tes masques. Ils sont inachevés, comme tout ce que tu entreprends.

Tu sais, je crois que je vais bientôt comprendre le Grand Principe de l’Univers. Bientôt, à l’échelle des temps géologiques. Mais j’y arriverai. Je travaille comme une fourmi appliquée. Toi tu comprends les choses en grands éclairs instinctifs, mais tu t’éparpilles, tu disjonctes. Tu déchires certaines portes  car tu n’aimes pas les couloirs, mais du coup, tu es constamment perdue dans tes labyrinthes. Moi je suis plus appliqué. Plus méthodique. C’est lent, peut-être, certainement moins drôle, mais c’est plus sûr. »

 

Il se lève, exécute un pas de danse, me regarde avec sa tête de hibou.

« je n’ai plus besoin que tu me protèges, petite sœur. C’est toi-même que tu protégeais quand tu me racontais des histoires. D’ailleurs tu n’es plus vraiment là. Tu est déjà en route pour les étoiles, et tu le sais, mais malgré tout tu as peur de ce qui t’attends. »

Il s’en va.

Je ramasse mon baluchon. Il est vide, mais je peux presque deviner en filigrane les rêves qui s’impriment dessus. Et puis j’enjambe la fenêtre, je monte sur mon vélo, déploie la voile, et je me réveille.

 

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